Avant d’interpréter les jalons de développement, la syntaxe ou les patrons expressifs d’un enfant, il faut d’abord apprendre ce qui est typique dans sa langue et dans sa culture.

C’est la base d’une pratique orthophonique culturellement humble et sécuritaire.

Pourquoi cette étape est essentielle

L’évaluation orthophonique repose souvent sur des attentes façonnées par notre propre culture. Or, ces attentes peuvent mener à des malentendus, voire à des diagnostics erronés.

Adopter une posture d’humilité culturelle permet de :

  • éviter de pathologiser des comportements linguistiques typiques d’une autre culture ;
  • montrer aux familles qu’on apprend d’elles, qu’on s’ajuste ;
  • poser de meilleures questions, adaptées à leur contexte de vie.

Ce qu’il faut rechercher avant toute interprétation

  1. Les caractéristiques de la langue parlée à la maison :
    • patrons phonologiques typiques ;
    • structure de phrases, usage des pronoms et des questions ;
    • fréquence des interactions adulte-enfant.
  2. Les normes culturelles autour de :
    • le contact visuel, le silence, les réponses indirectes ;
    • la politesse, le rôle des aînés, le storytelling ;
    • la perception du handicap ou du développement atypique.

Ces éléments sont essentiels pour comprendre le comportement linguistique comme une différence, pas un trouble.

Où trouver ces informations

  • 🌐 Charles Sturt University – Multilingual Speech Research Centre : profils linguistiques et phonologiques pour 100+ langues.
  • 🌐 ASHA – Multicultural Phonological Development Index : inventaires par langue pour distinguer différence vs trouble.
  • 🌐 MultiCSD – Multilingual Topics in CSD (Google Site) : ressources d’évaluation et matériel clinique multilingue.

Outil concret : l’entretien sur les valeurs et activités familiales

L’Entretien sur les valeurs et activités familiales (Peredo, 2016) est un exemple d’outil d’évaluation ethnolinguistique.

C’est une conversation ouverte où le parent guide la discussion.

Le professionnel écoute activement, reformule et explore les valeurs, croyances et routines familiales avant toute intervention.

Cet entretien :

  • favorise la confiance ;
  • révèle les priorités et ressources familiales ;
  • permet de définir des objectifs fonctionnels culturellement pertinents.

Il invite le clinicien à ralentir, à écouter, et à co-construire avec la famille plutôt qu’à extraire des données.

Scénarios cliniques – quand nos biais s’invitent

Scénario 1 :

Tu évalues un enfant bilingue cri-anglais. Le parent évite le contact visuel et répond brièvement.

→ Dans plusieurs communautés autochtones, le regard direct est perçu comme un manque de respect. Le silence exprime l’écoute, pas la réticence.

Scénario 2 :

Tu demandes à un père somalien quels étaient les premiers mots de son enfant. Il hésite, puis répond : « Je ne me souviens pas, mais il comprenait tout. »

→ La mémoire développementale individuelle est moins valorisée que la compréhension du groupe ou la fierté collective.

Scénario 3 :

Observation parent–enfant : la mère reste silencieuse et regarde son enfant jouer sans intervenir.

→ Ce n’est pas du désengagement. C’est une posture de respect et d’observation dans plusieurs cultures collectivistes.

Ces situations exigent de la curiosité plutôt que du jugement, et une capacité à reformuler nos hypothèses.

Humilité culturelle et sécurité culturelle

  • Humilité culturelle : reconnaître qu’on est toujours en apprentissage ; accepter de se tromper ; inviter les familles à nous guider.
  • Sécurité culturelle : créer des conditions où la famille peut partager sans crainte d’être jugée.

    Elle reconnaît aussi les traumatismes historiques (ex. colonialisme, pensionnats) et privilégie les approches relationnelles plutôt que protocolaires.

En pratique :

  • ralentir le rythme de l’entrevue ;
  • permettre le récit plutôt que les questions rapides ;
  • tolérer le silence et les réponses indirectes ;
  • reformuler sans corriger.

Conclusion

L’entretien ethnolinguistique n’est pas une simple collecte d’informations : c’est une démarche de co-construction et de sécurité culturelle.

C’est en adoptant cette posture humble et réflexive que nous bâtissons des relations cliniques solides, où chaque famille se sent vue, entendue et respectée.

→ Pour approfondir ta pratique interculturelle :

Découvre la formation L’orthophonie inclusive – la prise en charge de l’enfant bilingue et plurilingue.

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